Vingt-trois jours de haine – Une enquête de Frédérique Santinelli et de Guillaume Volta (Steve Laflamme)


Steve Laflamme. – Vingt-trois jours de haine – Une enquête de Frédéric Santinelli et de Guillaume Volta. – Montréal : Libre Expression, 2024. – 411 pages..

 

Polar

 

 

 

Résumé :

 

Frédérique Santinelli, professeure de littérature habituée à collaborer avec la police, reçoit un livre dédicacé dont l'histoire est une espèce de manuel d'instructions pour faire souffrir sa femme.

D'abord dégoûtée par les horreurs que dépeint l'œuvre, elle croit y déceler un code caché qui révélera bientôt le nom de Caroline Généreux, victime de violence conjugale disparue depuis plus de deux ans. Santinelli fait appel au lieutenant-détective Guillaume Volta et le duo se lance dans une enquête guidée par les informations dissimulées dans cet effrayant manuscrit.

 

 

Commentaires :

 

Si vous avez aimé comme moi Les Agneaux de l'Aube, la première enquête de Frédérique Santinelli, professeure de littérature à l’Université Laval et Guillaume Volta, lieutenant-détective de la Sûreté du Québec parue en 2023, vous serez happé,e par ce tourne-page. Et n’ayez crainte, malgré son titre, la couverture de première et le synopsis, cette sombre histoire est « moins angoissante » qu’elle n’y paraît. L’auteur a su habilement « montrer les laideurs dont sont capables les hommes qui n’aiment pas les femmes » comme il me le mentionnait dans sa dédicace.

 

Suite logique du premier tome – de nombreuses références en faisant foi –, Vingt-trois jours de haine est un récit rempli de péripéties extraordinaires et extravagantes mettant en scène une panoplie de personnages aux fantasmes déviants, possédés du démon de la perversité, avec comme artefact central un livre effrayant, Le Calendrier de Tityos, un ouvrage signé par un mystérieux Oussef Lippman-Poliquin, aux références puisées dans la mythologie grecque. Vous y découvrirez, entre autres les mythes de Tityos, « l'homme dans l'amour gisant, lacéré par ses vautours, les angoisses dévorantes, ou celui que déchirent les affres d'autres passions ». Et celui de la Stryge, démon femelle ailé, mi-femme, mi-oiseau, qui pousse des cris perçants, dont la représentation la plus célèbre est celle de la sculpture qui orne la cathédrale Notre-Dame de Paris.

 

Tityos               Stryge

 

Des références à L’Étude d’après le portrait du pape Innocent X par Vélázquez de Francis Bacon et au Jardin des délices de Jérôme Bosh évoquent l’ambiance glauque de cette fiction.

 

L’action se déroule principalement à Québec, dans la région montréalaise et aussi au Saguenay – Lac-Saint-Jean, dans le secteur du Lac La tombelle qui, « dans un test de Rorschach, l’étendue gelée qui s’agrandissait du sud vers le nord aurait évoqué […] une longue botte à talon. » Au nord-ouest de Saint-Félicien, ville natale de Steve Laflamme.

 

Si vous aimez les énigmes à décrypter, la première partie du roman, peut-être la plus aride, livre son lot d’indices permettant d’identifier rapidement l’auteur du texte et les personnages de ce scénario sordide.

 

Un code QR offre au lecteur la possibilité de consulter la table des matières annotée par Frédérique Santinelli du Calendrier de Tityos qui s’emploie à déchiffrer le message que veut transmettre son auteur. Un deuxième code-barres à deux dimensions fournit les résultats de l’analyse permettant d’enclencher l’action qui s’alimente de chapitre en chapitre à un rythme trépidant.

 

Et l’auteur va jusqu’à inviter subtilement le lecteur de son propre roman à repérer un anthroponyme aux composantes dissimulées dans le texte que je vous laisse découvrir.

 

Vingt-trois jours de haine permet également d’en connaître davantage sur l’évolution des relations compliquées qu’entretiennent Guillaume Volta et Joëlle, son épouse, qui conserve depuis un an et demi les séquelles de l’attaque au chlore subie à la suite de l’enquête sur les Meurtres de l’Aube relatée dans le précédent roman.

 

Le roman nous éclaire également sur le passé familial trouble et douloureux de Frédérique Santinelli, victime de manipulation et d’espionnage électronique de la part de la GRC. Dans cette portion de la fiction qui traite de violences à l’égard des femmes, Steve Laflamme en profite pour rappeler les pratiques eugénistes, qui ont eu cours en Alberta, en Colombie-Britannique et au Québec :

 

« … de 1928 à 1972, l'Alberta Sexual Sterilization Act avait, en toute légalité et en toute impunité, pratiqué la stérilisation forcée pour préserver la pureté génétique canadienne. D'abord réservée aux femmes handicapées mentalement, cette pratique avait été élargie jusqu'à englober des gens qui étaient aux prises avec des problèmes d'alcoolisme, de toxicomanie, ou encore vivant en situation de pauvreté extrême, présentant un comportement criminel – prostitution, homosexualité ou déviances sexuelles, par exemple... Il ne restait qu'un pas à faire pour inclure dans ce bassin de malheureux les membres de la communauté autochtone. »

 

« La Colombie-Britannique disposait d’une loi similaire. La stérilisation forcée existait même ici, au Québec. » « Ces femmes-là [autochtones] avaient été expatriées et stérilisées au Québec. Elles avaient été charcutées de force à Sept-Îles, à Roberval, à La Tuque... Leurs bourreaux étaient protégés par le Collège des médecins... et par le peu d'intérêt de la population concernant ce qui pouvait arriver aux Autochtones, ce qui incitait les victimes à ne rien ébruiter et à endurer. »

 

« Il y a eu des stérilisations forcées jusqu’en 2019 au Québec… »

 

Je n’en dis pas plus sur le scénario qu’a imaginé, cette « course contre la montre pour percer les secrets d’un livre mystérieux ». À vous de vous y plonger.

 

Quelques mots maintenant sur la qualité d’écriture et le style très imagé qui caractérisent la production littéraire de Steve Laflamme.

 

Ce dernier excelle dans la description laconique des personnages qu’il met en scène. En voici quelques exemples :

 

« … sa carrure d’athlète donnait à croire qu’on l’avait fabriqué en laboratoire. »

 

« … un jeune homme aux cheveux savamment disposés en bataille comme s’il avait affronté seul le moulin à vent de Don Quichotte et avait perdu le combat. »

 

« Il raclait les R comme un félin, au point que, dans un zoo, on l’aurait mis en cage. »

 

Il portait « un pantalon brun et des pantoufles qui avaient peut-être été tricotés par Marguerite-Bourgeoys. »

 

Pour la description physique de ses deux protagonistes enquêteurs, leur créateur convie son lectorat à laisser libre court à son imagination.

 

J’ai aussi noté quelques descriptions de lieux et d’ambiance :

 

« … des conifères trop empesés par l’hiver pour revendiquer leur verdure parmi les feuillus aussi dépouillés que des squelettes. »

 

« Là où le feu aurait dû valser en chauffant le chalet, l’âtre se contentait de cendres de ce qui avait jadis été. »

 

« … la baie vitrée du salon peignait le tableau du grand éveil de la forêt, patiné des traits orangés de l’aube. »

 

« Les rais d’un soleil trompeur filtraient à travers un interstice dans les rideaux qui fermaient l’œil de leur chambre à coucher. »

 

« Les lampadaires faisaient de leur mieux, mais ils n’arrivaient pas à affecter l’empire obscur de la nuit. »

 

« Il faisait si froid qu’un ours polaire aurait exigé quelques références avant de s’établir ici. »

 

« … des sapins séculaires se hissaient assez haut pour être devenus les confidents du Tout-Puissant. »

 

J’ai souri à la lecture de ce passage sur l’autoédition :

 

« … la professeure de littérature avait constaté que le livre était publié en autoédition. Elle s'abandonnait tout à fait volontiers aux bassesses des préjugés à l'égard de ces auteurs qui s'entêtent à publier même si on a refusé leur manuscrit partout où ils l'ont envoyé. Certains de ces manuscrits seraient rejetés jusque sur Mars si l'auteur osait y envoyer le fruit de son labeur, croyait-elle. »

 

Professeur de littérature au Cégep de Sainte-Foy, Steve Laflamme intègre dans son récit de nombreuses références littéraires.

 

Par exemple, Oulipo, la compression du nom de l’auteur (OUssef LIppman-POliquin) du mystérieux livre qui avait été déposé à la porte de Santinelli :

 

Elle avait vu « dès la réception du livre, en prélevant de chaque mot du pseudonyme sa syllabe initiale, ce qui donnait Oulipo. Une référence à l'Ouvroir de littérature potentielle, un groupe de recherche fondé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais, et dont l'objectif consistait à explorer des zones de l'écriture créées par l'imposition de contraintes. »

 

Et plusieurs mentions d’ouvrages et d’auteur,es tel que :

 

·        La Bible : le Code secret de Michel Drosnin qui, selon l’auteur, contient un code permettant de retrouver diverses prophéties sur l'avenir de l'Humanité ;

·        La main du bourreau finit toujours par pourrir, célèbre poème de Roland Giguère publié en pleine Grande Noirceur, « associé à la figure dominatrice conjointe de Maurice Duplessis et du clergé catholique, qui écrabouillaient toute tentative d'émancipation » ;

·        Carrie et Shining, l’enfant de lumière de Stephen King, un de ses romanciers préférés ;

·        Gardiens des cités perdues, série de romans jeunesse de Shannon Messenger ;

·        Alphonse de Lamartine ;

·       

 

Sans oublier un clin d’œil à son amie Julie Rivard, auteure entre autres de polars « empreints de sensualité » et son enquêteur Henrik.

L’auteur partage également quelques-uns de ses goûts musicaux : Floor Jansen, chanteuse néerlandaise (metal) ; The Cure, groupe rock britannique ; Arch Enemy, groupe metal ; George Thorogood, blues rock.

Et probablement un de ceux de sa fille Frédérique « la vrai Frédérique en chair et en os, en intelligence et en sensibilité, qui a inspiré par son prénom et certaines de ses propriétés idiosyncrasiques la Frédérique fictive » (Remerciements et mot de la fin) : Jimin Park, chanteur coréen.

Notons également que l’auteur s’est judicieusement documenté sur l’éventail de médicaments consommés par Frédérique Santinelli : Venlafaxine (contre l’anxiété), Naproxène (pour les maux de tête carabinés), corticostéroïdes (afin de mieux respirer), Ésoméprazole (pour les douleurs gastriques provoquées par le Naproxène et solution triesters de glycérol oxydés (pour contrôler la xérostomie, une sécheresse buccale excessive due à une forte dose de Venlafaxine).

 

Je ne saurais terminer cet avis de lecture sans citer deux extraits sur la virilité malsaine dénoncée dans cette deuxième enquête du duo Volta-Santinelli :

 

« À une autre époque, c'était la force qui marquait la virilité, qui assurait la survie, qui faisait de l'homme le pourvoyeur – le rendait utile. Plus rien de tout ça n'est encore d'actualité. Les femmes travaillent. L'homme n'a plus à chasser son gibier pour manger. Et pourtant, il n'a rien perdu de ce besoin de dépenser la testostérone qui court dans ses veines. »

 

« Tant que ‘’ mes semblables ‘’ ne comprendront pas que c’est par l’esprit et l’intelligence qu’ils doivent affirmer leur virilité, on sera dans le pétrin. »

 

J’espère vous avoir donné le goût de lire Vingt-trois jours de haine, un roman que j’ai dévoré en deux jours !


 

Steve Laflamme est né à Saint-Félicien, au Lac-Saint-Jean. Il enseigne la littérature (policière, entre autres) au Cégep de Sainte-Foy et il écrit, toujours dans les tons de noir sur noir.

 

 

 

Merci aux éditions Libre Expression pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****


La non vengée – Le mystère Blanche Garneau (Michel Viau et Jocelyn Bonnier)


Michel Viau et Jocelyn Bonnier. – La non vengée – Le mystère Blanche Garneau. – Montréal : Glénat Québec, 2024. – 151 pages.



Bande dessinée


 

 

Résumé :

 

Le 28 juillet 1920, le corps de Blanche Garneau, jeune femme issue d'un milieu modeste, est découvert dans les taillis qui longent la rivière Saint-Charles, à Québec. L'enquête piétine. À cause des errements de la police, ce qui n'était qu'un fait divers va devenir un violent débat de société. Des journalistes en mal d'attention, des militants prohibitionnistes et des adversaires politiques vont tour à tour utiliser l'assassinat de cette femme pour tenter de faire tomber le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau, jusqu'à en oublier la question principale : qui a tué Blanche Garneau?

 

 

Commentaires :

 

J’avais une connaissance plutôt vague de cette sombre histoire, L’affaire Blanche Garneau qui a éclaté en 1920 à Québec et éclaboussé le gouvernement Taschereau lorsque le premier ministre a réagi de façon disproportionnée face à un journal qui avait accusé deux députés libéraux de l'Assemblée législative d'être impliqués dans l'assassinat de cette jeune fille. Une affaire non résolue encore de nos jours qui a fait la manchette pendant plus de deux ans. Il faut saluer l’initiative de Michel Viau, au scénario, et de Jocelyn Bonnier, aux illustrations, pour leur contribution à dévoiler un pan non glorieux de l’histoire de la ville de Québec, sous forme de bande dessinée ou de roman graphique.

 

De ce triste « fait divers » devenu un événement politique, les auteurs en ont fait un polar qui, dès les premières planches, suscite l’intérêt du lecteur et nourrit sa curiosité d’en apprendre davantage sur cette enquête de la police de Québec qui piétine, de l’intervention de celle de Montréal – avec un clin d’œil à la rivalité Montréal-Québec –, de la machine à rumeurs en pleine prohibition…

 

D’entrée de jeu, en prologue, le cadre géographique de l’assassinat de Blanche Garneau, résidente du quartier Saint-Sauveur, est situé : le parc Victoria de l’époque d’hier à aujourd’hui.


Les principaux protagonistes sont progressivement introduits dans le récit aux magnifiques illustrations noir et blanc aux effets photographiques de premiers plans nets et arrière-plans flous : le journaliste Joseph Lapointe, Blanche Garneau, employée au magasin de thé Jean Bertrand Rousseau sur la rue Saint-Vallier, Edesse May Boucher, son amie, ses parents adoptifs, l’enquêteur de Québec et celui de Montréal, les suspects potentiels… 

Les dialogues en langue québécoise des milieux moins nantis de la basse ville [« Mets ton coat pis tes chouclaques… »] en opposition à ceux des élites bourgeoises et politiques de la haute ville rendent les mises en scène des plus crédibles.

 

On y apprend le fonctionnement d’une enquête du coroner de l’époque, composée de « six jurys choisis parmi la population » dont le rôle était de « déterminer si la cause de la mort était criminelle et si la police devait enquêter afin de porter des accusations ».

 

Que la police faisait « appel à des tireuses de cartes et à l’hypnose pour trouver les assassins ».

 

Aussi que le « hot chicken [de Québec] est pas mal bon » mais « sûrement pas autant que sur la Main à Montréal ».

 

Les événements se déroulent alors que « le premier ministre Taschereau a annoncé que la prohibition était abolie dans la province ». « À la place, le gouvernement a créé la Commission des liqueurs, et les premiers commerces autorisés à vendre des spiritueux ont ouvert leurs portes. »

 

C’est aussi l’époque où une délégation de 400 femmes se présentent au café du Parlement pour réclamer le droit de vote « comme au fédéral ». Dans une case, Alexandre Taschereau réplique à Charles Lanctôt, assistant du procureur général et éminence grise du gouvernement :

 

« Tu peux être sûr d’une affaire, Charles : si jamais les femmes du Québec obtiennent le droit de vote, ce n’est pas moi qui leur aurai donné ! On a bien plus sérieux à s’occuper que du vote des femmes ! Il faut qu’on revoie le fonctionnement de la Sûreté provinciale. »  

 

Les auteurs ont aussi cru bon d’insérer la reproduction de certains documents d’archives qui viennent appuyer les propos. La joute politique à l’Assemblée législative repose sur une consultation de la reconstitution du journal des débats de l’époque. Vous pouvez vous en convaincre en consultant, entre autres, les transcriptions du 30 octobre 1922.

 


L’intégration aux pages 131 à 137 de la brochure anonyme « La Non Vengée » publiée en 500 exemplaires qui circulait « sous le manteau » à compter de l’automne 1922 aurait mérité davantage d’explication sur son origine. Sa reproduction graphique illustre bien les complots conspirationnistes insinuant que les fils de deux parlementaires québécois étaient membres d’un « Club de vampires » qui réunissait des jeunes de la bourgeoisie de Québec, qui organisent des soirées de « débauches galantes et bestiales » dans une maison luxueuse auraient été impliqués dans le meurtre.

 

 En conclusion, les deux enquêteurs à la retraite se remémorent cette triste histoire : « On parlait juste de ça dans l’temps, pis aujourd’hui plus personne ne se souvient d’elle… » Un gros merci à Michel Viau et Jocelyn Bonnier pour ce devoir de mémoire rendu accessible à un large auditoire grâce à la haute qualité documentaire et graphique de cette réalisation du neuvième art, une belle contribution à la diffusion de l’histoire du Québec.

 

Car comme l’écrivait François Bourque dans un article intitulé « Qui a tué Blanche Garneau ? » publié dans le journal Le Soleil le 19 juillet 2019, « les derniers acteurs et témoins qui auraient pu éclairer le mystère sont aujourd’hui disparus. À moins que surgisse une confession quelque part dans des archives familiales, on ne saura jamais la vérité sur ce qui fut une des plus retentissantes histoires des annales judiciaires de Québec. »

 

Pour en savoir davantage sur le mystère Blanche Garneau, deux autres ouvrages y ont été consacrés :

 

Réal Bertrand. – Qui a tué Blanche Garneau ? – Montréal : Quinze, 1983. – 234 pages.

 

Veillette, Eric. – L'affaire Blanche Garneau. – Montréal : Bouquinbec, 2017. – 410 pages.

 

Il est aussi possible de prendre connaissance du Rapport de la Commission royale d'enquête sur l'administration de la justice en ce qui regarde l'affaire du meurtre de Blanche Garneau de 1922 disponible sur le site de l’Assemblée nationale du Québec. Quant au Fonds Commission d'enquête sur l'administration de la justice dans l'affaire Blanche Garneau : Commission Archibald-Robidoux, il peut être consulté au Centre d’archives de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

 

À noter, en vue d’une prochaine impression, dans la case du milieu, à gauche, à la page 35, il manque un mot : « Qu’est-cé qu’jai faite de pas correct pour qu’elle ____ une affaire de même ? »

 

Historien de la bande dessinée, directeur de collection, scénariste, enseignant et écrivain québécois, Michel Viau a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages.  Depuis 2019, il signe des scénarios inspirés d'autres affaires criminelles québécoises : L'affaire Delorme (dessins Grégoire Mabit) sur une célèbre cause judiciaire québécoise qui opposa le détective Georges Farah-Lajoie à l'abbé Adélard Delorme accusé d'avoir tué son propre frère ; Blass : Le chat sur un toit brûlant (dessins de Jocelyn Bonnier) sur le gangster Richard Blass ; Havana Connection (dessins de Djibril Morissette-Phan) qui met en scène le narcotrafiquant Lucien Rivard lors de la révolution cubaine.


Le Montréalais Jocelyn Bonnier travaille dans le domaine du cinéma et de la publicité en tant qu'illustrateur de scénarimages, de bandes dessinées et de romans graphiques.

  




Merci aux éditions Glénat Québec pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : *****

 


Le retour du Cabotin (Maurice Jean)


Maurice Jean. – Le retour du Cabotin. – Québec : Éditions Crescendo !, 2021. – 258 pages.

 


Polar

 

 


Résumé :

 

Montréal 1979.

 

Investissements Baker et Associés, une société de placements qui connaît un essor incroyable depuis quelques années, ferme ses portes du jour au lendemain. Plus de 300 millions de dollars d'investissement disparaissent, des milliers d'investisseurs perdent tout.

 

Frustré devant l'absence de résultats, le directeur général de la police de Montréal confie les rênes de l'enquête au lieutenant-détective Henri Patenaude. Quelques jours plus tard, ce dernier découvre avec stupéfaction que plusieurs éléments sont identiques à une fraude dont son père a été victime vingt ans auparavant et qui était l'œuvre d'un criminel surnomme le Cabotin.

 

Naviguant entre le passé et le présent, le lieutenant-détective réussit à tisser des liens entre la fraude dont a été victime son père, la mégafraude qui ébranle le Québec et Paul Baker, simple comptable à la Banque Royale.

 

Son enquête se termine par un coup de théâtre qui surprend le coupable et le lecteur au moment où ceux-ci croyaient que l'enquête était terminée.

 

 

Commentaires :

 

Le retour du Cabotin, la troisième enquête du lieutenant-détective Henri Patenaude du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal (SPCUM) est un polar de procédures avec pour thème ce qui est convenu d’appeler une « fraude de Ponzi ». Maurice Jean nous livre une intrigue complexe, très bien ficelée et réussit à attiser l’intérêt du lecteur en entretenant l’intrigue et le suspense tout au long des 41 courts chapitres du roman.

 

Dès le départ, l’auteur met la table en nous présentant les premiers principaux personnages impliqués directement ou indirectement dans ce qu’il qualifie d’une des plus importantes arnaques au pays. L’action ne tarde pas à s’enclencher avec des aller-retour entre les années 1950 et 1979. L’enquête difficile à élucider s’étire.

 

Qui est ce mystérieux Cabotin ? Où se terre-t-il, où sont cachés les millions de dollars volés à des centaines d’investisseurs ? Impossible d’identifier celui qui a profité de cette fraude avant la véritable finale qu’on anticipe. En effet, personnellement, en couverture de quatrième, j’aurais éliminé la dernière phrase du synopsis (« Son enquête se termine par un coup de théâtre qui surprend le coupable et le lecteur au moment où ceux-ci croyaient que l'enquête était terminée ») pour surprendre davantage le lecteur.

 

Ce roman m’a amené à faire quelques recherches sur le Web à propos des fraudes de Ponzi aussi appelées « chaîne de Ponzi » ou « pyramide de Ponzi » :

 

« …montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Si l'escroquerie n'est pas découverte auparavant, la fraude apparaît au grand jour au moment où le système s'écroule, c'est-à-dire quand les sommes procurées par les nouveaux entrants ne suffisent plus à couvrir les rémunérations des clients. »

 

Ce système « propose un investissement à un taux très attractif. Le taux promis lui permet d'attirer toujours plus de clients, au fur et à mesure que sa réputation s'accroît. La croissance du nombre d'investisseurs lui permet effectivement de rémunérer les premiers investisseurs et de rembourser les quelques clients qui souhaitent retirer leurs fonds, aussi longtemps que ceux-ci ne sont pas trop nombreux. Lorsque les nouveaux arrivants deviennent plus rares, le fonds commence à perdre de l'argent. L'instigateur peut alors s'enfuir avec l'argent restant et les investisseurs qui n'ont pas retiré leur argent perdent leur mise. »

 

Maurice Jean a très bien intégré dans son récit le concept de ce type d’arnaque qui rappelle que Charles Ponzi est devenu célèbre après avoir mis en place une opération fondée sur ce principe à Boston dans les années 1920. Et ce sans nous perdre dans le jargon financier. J’ai bien aimé le parallèle entre l’évolution de la partie d’échec par correspondance entre le sympathique enquêteur et « un vieil ami [habitant] au fin fond de la Provence » jusqu’au dénouement de l’investigation et de la partie avec un incontournable « Échec et mat ! ».  

 

L’allusion glissée par l’auteur à propos de la bureaucratie documentaire m’a fait sourire :

 

« Tout le dossier était au centre de rétention des documents de la police et on lui expliqua qu'il devait venir remplir une demande pour sortir le dossier des archives. Cette demande devait être autorisée par un lieutenant-détective, puis par un directeur. Par la suite, il devait envoyer la demande par courrier interne au service de l'archivage longue durée qui, après entente avec le service de livraison, lui livrerait l'ensemble des documents. »

 

Et ce clin d’oeil au personnage fétiche de Louise Penny quand Henri Patenaude suggère à son adjoint, le sergent-détective  Alain Hamelin, de demander de l’aide à la police nationale :

 

« Appelle Armand Gamache de la Sûreté du Québec. Il pourra sûrement mettre quelqu'un sur ce dossier. »

 

On se saura jamais si le célèbre résident du village fictif de Three Pines, en Estrie, a contribué à démasquer le coupable.

 

Originaire de Bedford dans les Cantons-de-l'Est, Maurice Jean possède une maîtrise en chimie analytique et a travaillé plus de trente ans comme spécialiste en enquêtes techniques dans le domaine de l'aéronautique. Il habite maintenant à Morin-Heights, dans les Laurentides. Il se lance dans l'écriture de la série Une enquête d'Henri Patenaude au début des années 2010, avec le défi de produire des romans accessibles à tous dans la pure tradition du roman policier britannique du début du siècle; défi qu'il a relevé avec la parution de Portefeuilles en série en 2017 réédité en 2023 sous le titre Tuer une vieille dame. Il récidive avec Mes Amis Facebook (2019), Mort à huis clos (2023) et Meurtre au presbytère (2024).

 

Merci à Maurice Jean pour le service de presse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : ***

Intrigue : *****

Psychologie des personnages : *****

Intérêt/Émotion ressentie : *****

Appréciation générale : ****

L’Infini dans un roseau – L’invention des livres dans l’Antiquité – Première partie : La Grèce imagine l’avenir (Irene Vallejo)


Irene Vallejo. – L’Infini dans un roseau – L’invention des livres dans l’Antiquité. – Paris : Les belles lettres, 2021. – 559 pages.

 

Essai

 

 

Résumé :

 

Quand les livres ont-ils été inventés ? Comment ont-ils traversé les siècles pour se frayer une place dans nos librairies, nos bibliothèques, sur nos étagères ? Irene Vallejo nous convie à un long voyage, des champs de bataille d'Alexandre le Grand à la Villa des Papyrus après l'éruption du Vésuve, des palais de la sulfureuse Cléopâtre au supplice de la philosophe Hypatie, des camps de concentration à la bibliothèque de Sarajevo en pleine guerre des Balkans, mais aussi dans les somptueuses collections de manuscrits enluminés d'Oxford et dans le trésor des mots où les poètes de toutes les nations se trouvent réunis.

 

Grâce à son formidable talent de conteuse, Irene Vallejo nous fait découvrir cette route parsemée d'inventions révolutionnaires et de tragédies dont les livres sont toujours ressortis plus forts et plus pérennes.

 

L’Infini dans un roseau est une ode à cet immense pouvoir des livres et à tous ceux qui, depuis des générations, en sont conscients et permettent la transmission du savoir et des récits. Conteurs, scribes, enlumineurs, traducteurs, vendeurs ambulants, moines, espions, rebelles, aventuriers, lecteurs ! Autant de personnes dont l'histoire a rarement gardé la trace, mais qui sont les véritables sauveurs de livres, les vrais héros de cette aventure millénaire.

 

 

Commentaires :

 

Quel magnifique essai sur l’invention de l’écriture et des livres ! Quel plaisir de lire un texte d’une qualité littéraire (excellente traduction de l’espagnol) qui nous raconte l’évolution des connaissances humaines et leur diffusion grâce aux initiatives d’Alexandre le Grand et au rayonnement et à l’essaimage de la Grande Bibliothèque d’Alexandrie !

 

Il y a tant à dire sur cet ouvrage « accessible et émouvant dans sa simplicité » rédigé par une lectrice passionnée que j’ai décidé de publier mon avis de lecture en deux étapes. Je partage ici mes commentaires sur la première partie consacrée à la Grèce.

 

En prologue, après nous avoir intrigués avec la description d’émissaires envoyés pour récupérer des livres, Irene Vallejo définit l’objectif de sa démarche, raconter 2000 ans d’existence du livre, rien de moins :

 

« Quand les livres sont-ils apparus ? Quelle est l'histoire secrète des efforts produits pour les multiplier ou les détruire ? Qu'a-t-on perdu en chemin, qu'a-t-on sauvé ? Pourquoi certains d'entre eux sont-ils devenus des classiques ? Quelles pertes ont été causées par les morsures du temps, les blessures du feu, le poison de l'eau ? Quels livres ont été brûlés avec rage, quels livres ont été copiés avec passion ? Les mêmes ? »

 

De courts chapitres aux titres évocateurs (87 sur 300 pages) nous entraînent à notre rythme dans la grande aventure de la sauvegarde des connaissances humaines sur des supports physiques, de leur rangement et de leur conservation, de leur catalogage, de leur accès et même de leur destruction. Et du génie humain à la recherche de la meilleure « technologie » du moment pour écrire : de la pierre, aux tablettes d’argile (Mésopotamie), aux tablettes en bois, en métal ou en ivoire, couvertes d’un mélange de cire et de résine (Europe) et de formes rectangulaires produisant un étrange plaisir au regard, aux rouleaux de papyrus (utilisés chez les Juifs, les Grecs et les Romains) jusqu’au parchemin (peau d’animal) inventé à Pergame et au vélin (peau de mouton ou de veau mort-né plus lisse et plus fine que le parchemin).

 


On y apprend comment on fabriquait les rouleaux de papyrus et comment on les manipulait pour les lire; que Démétrios de Phalère est l’inventeur du métier de bibliothécaire ; comment étaient aménagées les bibliothèques grecques et celle d’Alexandrie ; que depuis les premiers siècles de l’écriture jusqu’au Moyen âge, la norme était de lire à voix haute.

 

Saviez-vous que pour rentabiliser au maximum les rouleaux de papyrus, « ce matériel coûteux, les livres étaient écrits sans laisser d’espaces entre les mots, ni les phrases, et sans les diviser en chapitres » ?

 

Un chapitre porte sur l’invention par les Sumériens des tablettes d’argile et sur leur sauvegarde grâce à certains incendies en Mésopotamie et à Mycènes. Il est aussi question de l’invention du catalogage, « la conscience de l’unité de la collection comme réalisation et aspiration », du métier de scribe en Égypte, de la découverte et du déchiffrement de la pierre de Rosette grâce à l’identification du nom de Ptolémée (Rashid) et du Projet Rosette (San Francisco) qui consiste à « enregistrer à l’échelle microscopique le même texte traduit dans mille langues » sur un « disque en alliage de nickel ».

 

Il est aussi question du travail des copistes et des erreurs de copies en copies, du rôle des bardes poètes (tisseurs de mots), des poèmes oraux, de la naissance de la poésie dont le langage rythmique était plus facile à mémoriser.

 

Évidemment, une partie de l’ouvrage est consacrée à l’origine de l’écriture avec les registres de propriété, à la naissance de l’esprit critique et de la littérature écrite. On y append que l’expression « livre » se réfère à l’étymologie du mot « biblíon » en grec de Byblos.

 

L’auteure s’intéresse également au premier alphabet à partir du modèle phénicien et son évolution, à la naissance de l’autofiction et de la fiction, à l’apparition de la prose au VIe siècle av. J.-C., à la naissance de l’école et de la philosophie, aux premiers libraires « bybliopόlai » (vendeurs de livres), au prix des livres, au début de l’exportation des livres, aux librairies nomades et sédentaires, aux premiers ateliers de copie (reproduction) des livres.

 

En racontant l’histoire de l’écriture et de l’invention des livres, l’auteure met en lumière les impacts sur la conservation et la transmission des idées et du savoir humain. On y apprend qu’Aristote est probablement le premier collectionneur de livres. Pointent à l’horizon le concept d’humanités (étude des langues et des littératures latines et grecques), les premières formes d’éducation, les fondements des sciences bibliographiques et encyclopédiques avec le grand catalogue de la Bibliothèque d’Alexandrie « qui occupait au moins cent vingt rouleaux, cinq fois plus que l’Iliade d’Homère » pris en charge par Callimaque de Cyrène, le père des bibliothécaires, métier exercé exclusivement par des hommes jusqu’au début du XXe siècle. Aussi l’usage de l’alphabet pour classer et archiver les textes, la distinction entre les vers et la prose pour organiser la littérature par genre et les premières listes d’auteurs « enkrithéntes » (ceux qui sont passés au crible) qu’il faut avoir lu avant de mourir.

 

Irene Vallejo rappelle que Sapho est la seule présence féminine dans la littérature grecque dont les écrits nous sont parvenus alors que plusieurs auteures ont été oubliées. Mais que le premier auteur du monde à signer un texte de son propre nom est une femme : Enheduanna, la fille du roi Sargon d’Akkad.

 

De page en page, défilent sous nos yeux la naissance du Théâtre « lieu pour regarder » en grec avec la mention de la plus ancienne œuvre théâtrale conservée :

 

·        Les perses d’Eschyle, peut-être le premier roman historique ;

·        Hérodote et la naissance de l’Histoire « Historíai » « enquêtes, recherches » en grec ;

·        l’origine du mot Europe : de l’akkadien « Erebu », parent du terme arabe actuel « ghurubu » « le pays où meurt le soleil », la terre du couchant, l’Occident, du point de vue des habitants de l’est de la Méditerranée. (225) ;

·        Aristophane et la comédie antique comme genre littéraire ; la présence de bibliothèques dans les gymnases ;

·        l’apparition des anthologies, de l’art oratoire et de la conférence, de  la rhétorique et de la censure ;

·        les récits sur des livres qui causent la mort ;

·        la traduction universelle pour percer « des chemins vers les esprits des autres » et le cosmopolitisme, un « concept qu’inventa, dans une certaine mesure, Alexandre [le Grand] ».

 

Une somme considérable d’information à la portée de tous. Je partage avec vous ces quelques extraits qui m’ont particulièrement intéressé :

                                               

Les œuvres réparties en plusieurs rouleaux et leur intégrité :

 

«  Au IVe siècle av. J.-C., les copistes et libraires grecs développèrent un système pour assurer l'unité des œuvres réparties en plusieurs livres. Le même système avait déjà été mis en pratique avec les tablettes au Moyen-Orient. Il consistait à écrire à la fin d'un rouleau les premières phrases du rouleau suivant, afin d'aider le lecteur à localiser le nouveau volume qu'il était sur le point de commencer. »

 

« Malgré toutes les précautions qu'on pouvait prendre, l'intégrité des œuvres était toujours menacée par une tendance incontrôlable à l'éparpillement, au désordre et à l'égarement. Des boîtes étaient préparées pour ranger et transporter les rouleaux. Elles permettaient aussi de protéger les livres de l'humidité, des marques des insectes, des morsures du temps. Chaque boîte contenait entre cinq et sept unités, cela dépendait de la longueur des œuvres. Curieusement, beaucoup de textes conservés de nombreux auteurs anciens sont des multiples de cinq ou de sept - sept tragédies d'Eschyle et autant de Sophocle, vingt et une comédies »

 

Les supports illisibles :

 

« Quand est apparu le DVD, on nous disait que nos problèmes d'archives étaient enfin résolus pour toujours, mais on revient à la charge aujourd'hui avec des disques au format plus petit qui, inévitablement, nous obligent à acheter de nouveaux appareils. Ce qui est étrange, c'est qu'on peut encore lire un manuscrit patiemment copié il y a plus de dix siècles, mais qu'il est impossible de voir une vidéo ou de lire une disquette datant de quelques années au plus, sauf si on a gardé tous nos ordinateurs et lecteurs successifs, comme un cabinet de curiosités dans les débarras de nos maisons. »

 

Le passage de la pierre au papyrus :

 

« Le rouleau de papyrus représenta une fantastique avancée. Après des siècles de recherche de supports et d'écriture humaine sur de la pierre, de l'argile, du bois ou du métal, le langage découvrit finalement son foyer dans la matière vive. Le premier livre de l'Histoire est né quand les mots, à peine des bulles d'air, trouvèrent refuge dans la moelle d'une plante aquatique. Face à ses ancêtres inertes et rigides, le livre fut dès le départ un objet flexible, léger, prêt pour le voyage et l'aventure. »

 

 

L’invention de l’écriture et du livre :

 

Avec l’écriture, « l’entrepôt de la connaissance cessa d’être exclusivement acoustique et se transforma en archive matérielle. »

 

Dans l’alphabet grec, « chacune de ses sept voyelles symbolisait une des sept planètes et des sept anges qui les président. »

 

« L’invention du livre est l’histoire d’une bataille contre le temps pour améliorer les aspects tangibles et pratiques – la longévité, le prix, la résistance, la légèreté – du support physique des textes. »

 

« Le métier de penser le monde existe grâce aux livres et à la lecture, c’est-à-dire quand on peut voir les mots et réfléchir lentement à leur sujet, au lieu uniquement de les entendre prononcer dans le cours rapide du discours. »

 

« Ni le savoir ni toute la littérature ne tient dans un seul cerveau, mais, grâce aux livres, chacun de nous trouve les portes ouvertes à tous les récits et à toutes les connaissances. »

 

« De tous les instruments de l'homme, le plus étonnant est, sans doute, le livre. Les autres sont des extensions de son corps. Le microscope et le télescope sont des extensions de sa vue ; le téléphone est une extension de la voix ; puis nous avons la charrue et l'épée, extensions de son bras. Mais le livre est différent : le livre est une extension de la mémoire et de l'imagination. » Borges

 

L’effet Google :

 

« On a tendance à se souvenir mieux de l'endroit où est conservée une information que de l'information elle-même. Il est évident que la connaissance disponible est plus importante que jamais, mais presque tout est stocké en dehors de notre cerveau. Des questions inquiétantes surgissent: sous ce déluge de données, que reste-t-il de la connaissance ? Notre mémoire paresseuse est-elle en train de devenir un carnet d'adresses où chercher une information, sans trace de l'information elle-même ? Sommes-nous au fond plus ignorants que nos ancêtres à forte mémoire des anciens temps de l'oralité ? »

 

Vendre un livre :

 

« Quand on vend un livre à quelqu'un, non seulement on lui vend douze onces de papier, de l'encre et de la colle. Mais on lui vend une vie totalement nouvelle. De l'amour, de l'amitié, de l'humour et des bateaux qui naviguent dans la nuit. Il y a tout dans un livre, le ciel et la terre; dans un vrai livre, je veux dire. »

 

Les techniques et les technologies de la documentation :

 

« … les responsables de la [Grande] Bibliothèque développèrent des systèmes efficaces pour s'orienter parmi cette information qui commençait à déborder de toutes les digues de la mémoire. Inventer des méthodes comme le système alphabétique de classement et le catalogage, et former le personnel qui veillerait sur les rouleaux - philologues pour corriger les erreurs dans les livres, copistes pour reproduire ceux-ci, bibliothécaires pédants et souriants pour guider les non-initiés à travers le labyrinthe virtuel des textes écrits - furent des pas aussi importants que l'invention de l'écriture. […] Ce qui distingua la Grande Bibliothèque à son époque, comme de nos jours Internet, ce furent ses techniques simplifiées et très avancées pour trouver l'aiguille dans la botte de foin chaotique du savoir écrit. »

 

« Organiser l'information continue d'être un défi fondamental à l'ère des nouvelles technologies, comme ce fut le cas à l'époque [de la dynastie] des Ptolémées. Ce n'est pas un hasard si dans plusieurs langues - français, catalan, espagnol - nous appelons précisément nos appareils informatiques « ordinateurs ». C'est un professeur de lettres classiques de la Sorbonne, Jacques Perret, qui proposa en 1955 aux dirigeants français d'IBM, alors sur le point de lancer sur le marché de nouvelles machines, de remplacer le terme anglo-saxon computer, qui fait uniquement allusion aux opérations de calcul, par ordinateur, qui se réfère à la fonction - beaucoup plus importante et décisive - d'ordonner les données. L'histoire des péripéties technologiques, depuis l'invention de l'écriture à celle de l'informatique est, dans le fond, le récit des méthodes créées pour disposer de la connaissance, l'archiver et la récupérer. La route de toutes ces avancées contre l'oubli et la confusion, qui commença en Mésopotamie, atteignit son apogée, pendant l'Antiquité, dans le palais des livres d'Alexandrie, et serpente sinueusement jusqu'aux réseaux digitaux d'aujourd'hui. »

 

La destruction des livres :

 

« Au moment où vous lisez ces lignes, une bibliothèque brûle quelque part dans le monde. Une maison d'édition détruit ses invendus pour refabriquer de la pâte à papier. Non loin, une inondation plonge dans l'eau une précieuse collection. Plusieurs personnes jettent à la poubelle la bibliothèque dont ils ont hérité. Une armée d'insectes percent, grâce à leurs mâchoires, des tunnels de papier pour déposer leurs larves dans un univers de petits labyrinthes sur d'innombrables étagères. Quelqu'un ordonne une purge d'œuvres dérangeantes pour le pouvoir. Un pillage a lieu à cet instant dans un territoire instable. Ailleurs, on condamne une œuvre pour immoralité ou blasphème et on l'envoie au bûcher. »

 

« Quand un livre brûle, quand un livre est détruit, quand un livre meurt, c'est une part de nous-mêmes qui est irrémédiablement mutilée. Quand un livre brûle, toutes les vies qui l'ont rendu possible meurent aussi, toutes les vies contenues en lui et toutes les vies auxquelles ce livre aurait pu, dans le futur, apporter de la chaleur et du savoir, de l'intelligence, du plaisir et de l'espoir. Détruire un livre c'est, littéralement, assassiner l'âme de l'homme. » Arturo Pérez-Reverte

 

Comme par hasard, au moment où je révisais cet avis de lecture, on apprenait que des gangs armés avaient pris d'assaut la Bibliothèque nationale d'Haïti, située dans la capitale Port-au-Prince :

 

« …les malfrats sont en train d'emporter les meubles de l'institution. Ils ont également saccagé le générateur du bâtiment. […] Nous avons des documents rares, vieux de plus de 200 ans, ayant une importance patrimoniale qui risquent d’être incendiés ou dégradés par les bandits. » Dangelo Néard, directeur de la bibliothèque.

(source photo : La Presse, 4 avril 2024)

 

L’ouvrage est complété par des notes regroupées par chapitre, une bibliographie, un index des noms propres et une table des matières détaillée.

 

Dans un prochain avis de lecture, je commenterai la deuxième partie de cet ouvrage unique portant sur « Les chemins de Rome ».

 

Irene Vallejo Moreu est une philologue et écrivaine espagnole originaire de Saragosse. Elle a reçu de nombreux prix, entre autres le Prix national de l'Essai 2020 pour L'infini dans un roseauElle détient un doctorat en philologie classique de l'université de Saragosse et de celle de Florence. Elle se consacre principalement à la recherche et à la divulgation d'auteurs classiques. Elle collabore avec des journaux, publie des essais, des romans et des livres pour la jeunesse.

 

Au Québec, vous pouvez commander votre exemplaire sur le site leslibraires.ca et le récupérer auprès de votre librairie indépendante.

 

 

Originalité/Choix du sujet : *****

Qualité littéraire : *****

Appréciation générale : *****